1001Ebook » Histoire » Mémoires d'Hadrien (2022)
  • Auteur: Marguerite Yourcenar
  • Editeur: ‎ Editions Gallimard (1 janvier 2015)
  • Pages: ‎ 352 pages
  • Langue: Français

Description du livre Mémoires d'Hadrien (2022):

Cette œuvre, qui est à la fois roman, histoire, poésie, a été saluée par la critique française et mondiale comme un événement littéraire. En imaginant les Mémoires d'un grand empereur romain, l'auteur a voulu "refaire du dedans ce que les archéologues du XIXe siècle ont fait du dehors". Jugeant sans complaisance sa vie d'homme et son œuvre politique, Hadrien n'ignore pas que Rome, malgré sa grandeur, finira un jour par périr, mais son réalisme romain et son humanisme hérité des Grecs lui font sentir l'importance de penser et de servir jusqu'au bout.
"... Je me sentais responsable de la beauté du monde", dit ce héros dont les problèmes sont ceux de l'homme de tous les temps : les dangers mortels qui du dedans et du dehors confrontent les civilisations, la quête d'un accord harmonieux entre le bonheur et la "discipline auguste", entre l'intelligence et la volonté.



Commentaires

Mémoires d’Hadrien/Marguerite Yourcenar/Académie française 1980.
En me plongeant dans ce monument de la littérature du XX e siècle, je m’attendais à trouver parfois le temps long : lire une biographie romancée de l’empereur Hadrien n’excitait pas plus que cela ma curiosité, sauf que l’œuvre globale de Marguerite Yourcenar m’attirait toujours après avoir lu naguère « L’œuvre au noir ». Bien m’en a pris de me lancer dans ce récit de plus de 350 pages : il est absolument passionnant. Marguerite Yourcenar a débuté l’écriture de cette œuvre en 1924 et ce n’est qu’en 1951 qu’elle y a mis la dernière main : il s’agit de l’œuvre d’une vie. Ne dit-elle pas plus tard que la vie de son propre père lui était plus inconnue que celle d’Hadrien !
Ce roman est une immense fresque reconstituant une période faste de l’Empire Romain, et se présente sous la forme d’une longue lettre d’Hadrien en fin de vie à Marc-Aurèle, fils adoptif d’Antonin par l’entremise d’Hadrien, Antonin lui même fils adoptif et successeur d’Hadrien désigné par Hadrien en personne.
La figure impériale d’Hadrien, né en 76 sous le signe du Verseau, l’Échanson céleste, et mort en 138, successeur de Trajan dont il fut le fils adoptif comme il se devait, brille tout au long du livre par son charisme, son intelligence, sa sagesse – chaque homme a éternellement à choisir, au cours de sa vie brève, entre l’espoir infatigable et la sage absence d’espérance - son intérêt pour la paix autant que pour la guerre lorsque celle-ci est nécessaire, son goût de la statuaire, la poésie et les légendes anciennes. Homme de lettres donc, mais aussi grand voyageur – étranger partout, il ne sentait particulièrement isolé nulle part - poète et amant, grand amateur de bons vins dont il disait qu’ils initient aux mystères volcaniques du sol et aux richesses minérales cachées, sachant allier un certain ascétisme à un hédonisme très romain, amateur d’astronomie et d’astrologie, Hadrien tout au long de ces mémoires destinées à Marc-Aurèle, examine, juge, et soupèse sa vie passée. Dans le style magnifique de Marguerite Yourcenar, un extrait qui montre bien les différentes facettes du personnage d’Hadrien :
« Il faut même avouer que certains récits indiscrets de mes maîtresses, faits sur l’oreiller, finissaient par éveiller en moi une sympathie pour ces maris si moqués et si peu compris. Ces liaisons, agréables quand ces femmes étaient habiles, devenaient émouvantes quand elles étaient belles. J’étudiais les arts ; je me familiarisais avec les statues ; j’apprenais à mieux connaître la vénus de Cnide ou la Léda tremblant sous le poids du cygne. C’était le monde de Tibulle et de Properce : une mélancolie, une ardeur un peu factice, mais entêtante comme une mélodie sur le mode phrygien, des baisers sur les escaliers dérobés, des écharpes flottant sur des seins, des départs à l’aube, et des couronnes de fleurs laissées sur les seuils. »
Débutant par un bilan de santé établi par son médecin Hermogène, Hadrien alors âgé de 60 ans se sent en fin de vie. Après le récit de sa vie, de ses batailles, de se amours, son amour de la Grèce antique et actuelle, cette nation qui a fécondé le monde – tout ce que les hommes ont dit de mieux a été dit en grec - il évoque son père adoptif Trajan, et surtout Plotine la femme de Trajan, sa meilleure amie, sa confidente fidèle. Hadrien n’aime pas les Jeux qu’il juge un gaspillage féroce, un massacre inutile de fauves ou d’hommes et ne fréquente les bains qu’aux heures populaires. Il est marié à Sabine, une femme dure et à l’humeur difficile ; il ne l’aime pas et confesse que de tous les êtres, c’est probablement celui auquel il a le moins réussi à plaire, en ajoutant qu’il reconnaissait qu’il s’y était très peu employé ! Hadrien aime aussi les jeunes garçons et Lucius âgé de dix-huit ans vient égayer les fêtes par sa grâce rieuse et sa façon de réciter des poésies lascives avec une effronterie charmante. La liaison avec ce jeune faune dura six mois, la mort l’emportant brutalement. Puis il y eut Antinoüs, un jeune grec, le plus grand amour de sa vie :
« Sa présence était extrêmement silencieuse : il m’a suivi comme un animal ou comme un génie familier. Il avait d’un jeune chien les capacités infinies d’enjouement et d’indolence, la sauvagerie, la confiance. Ce beau lévrier avide de caresses et d’ordres se coucha sur ma vie. »
Et puis Hadrien se penche sur son obsession de la mort : malade du cœur il sent venir sa fin. La rigueur de sa pensée de cet homme cultivé fait des dernières pages de ce livre un moment particulièrement émouvant, pour conclure un chef d’œuvre.




5/5