Le Chant du silence (2023)

L'on ne présente plus Jérôme Loubry et son talent indéniable à manipuler son lecteur dans une construction de son intrigue aussi maîtrisée qu'immersive et visuelle aux multiples rebondissements. Le chant du silence ne déroge pas à son habitude et confirme son rôle de marionnettiste !

Cette fois, Jérôme offre à ce thriller une dimension plus noire et plus humaine que jamais, en sondant la profondeur de ses personnages déchirés, cabossés, voués au déclin à l'image de ce vieux port de la baie des veuves, à l'abandon depuis la marée noire et le manque de poissons.

Damien revient à la mort de son père pour cracher sur sa tombe, lui, ce père assassin qui a sali son nom et celui de sa mère, lui, ce marin esseulé qui n'a pas cherché à retenir son fils, lui enfin, plus proche de son bateau et de la bouteille que de sa propre famille.
Et pourtant.... En revenant près de vingt cinq ans plus tard, Damien va lever le voile sur tous ces silences destructeurs de cette communauté : les non-dits, les secrets inavouables, les silences achetés, les silences insidieux à l'origine des plus grandes douleurs et névroses...

Jérôme Loubry nous balade dans une double temporalité entre les années 90, lorsque Damien glisse vers l'âge adolescent et 2019 à la mort de Jean lorsque Damien revient, entrecoupée par des chapitres où se tiennent des dialogues entre Damien et un mystérieux narrateur.

Brillamment construit, une écriture plus littéraire et contrastée que dans ses autres thrillers, un dénouement bluffant alors que tous les éléments étaient là, dès le début, j'ai adoré le parallèle fait entre le délitement du port de pêche et celui de ses habitants, ainsi que l'ambiance, particulièrement travaillée et oppressante à mesure que le silence devient assourdissant, irrespirable même jusqu'à la découverte, libératrice, de la vérité.

Et puis évidemment, ce lien immuable entre un père et son fils, cet amour indélébile mais fragilisé par toutes ces années perdues et ces silences dévastateurs...

Enfin, l'auteur fait résonner en nous à travers ses personnages le poids du temps qui passe et celui du pardon, que l'on croit impossible à donner ou à se donner mais qui libère lui aussi plutôt que d'engendrer rancœurs et haine silencieuses, jusqu'au point de non retour.

Un énorme coup de cœur pour ce thriller très attendu de la rentrée littéraire, un auteur qui une fois de plus touche et surprend, en réitérant ce qu'il sait faire de mieux, nous offrir une histoire bluffante, inoubliable et une claque magistrale !!! À découvrir au plus vite ❤️

" Entendre le prénom de mon père fut à la fois douloureux et saisissant. Depuis longtemps j'avais cessé de penser à lui comme à un membre de mon existence. Au fil des années, il était devenu il. Une abstraction sémantique, un bouclier froid et impersonnel qui me donnait le sentiment réconfortant de ne plus être son fils."

" -Si tu me demandais de couler pour lui, ici et maintenant, je le ferais sans hésiter. C'est ça le rôle d'un père. "

" Les sirènes, au moins, on sait ce qu'elles veulent... Elles l'expriment. Mais les femmes... C'est leur silence qui est dangereux. Et ça, c’est pire que tout. Ça fait beaucoup de bruit le silence d'une femme, quoiqu'on en dise."

5/5