• Auteur: Jean-Christophe Rufin
  • Editeur: Editions Gallimard (2 janvier 2014)
  • Pages: 501 pages
  • Langue: Français

Description du livre Le grand Coeur (2023):

Dans la chaleur d'une île grecque, un homme se cache pour échapper à ses poursuivants. Il évoque sa vie hors du commun et tente de démêler l'écheveau de son destin.
Fils d'un modeste pelletier, il est devenu l'homme le plus riche de France. Il a permis à Charles VII de terminer la guerre de Cent Ans. Il a changé le regard sur l'Orient. Avec lui, l'Europe est passée du temps des croisades à celui de l'échange. Comme son palais à Bourges, château médiéval d'un côté et palais Renaissance de l'autre, c'est un être à deux faces. Aussi familier des rois et du pape que des plus humbles maisons, il a voyagé à travers tout le monde connu.
Au faîte de sa gloire, il a vécu la chute, le dénuement, la torture avant de retrouver la liberté et la fortune.
Parmi tous les attachements de sa vie, le plus bouleversant fut celui qui le lia à Agnès Sorel, la Dame de Beauté, première favorite royale de l'Histoire de France, disparue à vingt-huit ans.
Son nom est Jacques Cœur.
Il faut tout oublier de ce que l'on sait sur le Moyen Âge et plonger dans la fraîcheur de ce livre. Il a la puissance d'un roman picaresque, la précision d'une biographie et le charme mélancolique des confessions.



Commentaires

Le Grand Cœur/Jean Christophe Rufin/Prix du roman historique 2012.
À l’époque de Jacques Cœur, l’Amérique n’avait pas encore été découverte par Colomb. En effet, né à Bourges vers 1400 et mort à Chios en Grèce en 1456, Cœur se tourna vers l’Orient pour satisfaire ses envies d’aventures commerciales.
« Le moment où il vient au monde est celui du grand basculement. Cent ans de guerre avec l’Angleterre prennent fin ; la papauté se réunifie ; la longue survie de l’Empire romain s’achève avec la chute de Byzance ; l’Islam s’installe comme le vis-à-vis de la chrétienté. Un monde meurt, en Europe, celui de la chevalerie, du servage et des croisades. Ce qui va le remplacer, c’est la mise en mouvement des richesses par le commerce, le pouvoir de l’argent…Jacques Cœur est l’homme de cette révolution. »
Cet excellent récit aux allures de grande fresque historique au cours du XV é siècle du grand conteur qu’est J.C.Rufin nous permet de voir le chemin suivi par Cœur pour devenir marchand, négociant, banquier et armateur à une époque où il était extrêmement risqué de voyager, des écorcheurs de tout poil hantant les chemins.
À la fin de sa vie, exilé et caché à Chios en Mer Égée, recherché semble-t-il par quelques stipendiaires, Cœur raconte…..
Dès son plus jeune âge, sous l’influence de son père, pelletier au service des nantis, il « apprit à placer le courage dans le renoncement. »
Son père qui nourrissait à son égard des ambitions pour faire de lui quelqu’un de respectable le destina à la basoche ce qui lui fit fréquenter longtemps l’école.
Mais l’appel des grands espaces et « un appétit de liberté qui rendait étonnant le peu d’usage qu’il en avait fait jusque-là », furent les plus forts et la trentaine atteinte, après s’être marié et devenu père de famille, il décida de partir. « Voyageur anonyme, sans aucune marque de fortune ni d’origine « , incognito dirait-on aujourd’hui, il se lança dans une aventure qu’il « abordait sans crainte et avec une immense curiosité. »
Rien ne pouvait lui apporter autant de bonheur que cette naissance à une vie inconnue. À rebours d’une vie bourgeoise qui lui apportait la sécurité, il embarque sur une galée qui va lui ouvrir une vie d’aventures inattendues et fabuleuses : il éprouvait enfin le sentiment de vivre.
D’Alexandrie à Beyrouth et Damas, il va se jeter dans l’action, bourlinguer, confessant souvent son peu d’appétit pour les nourritures célestes. Son plus grand émoi lui vint de la découverte des souks orientaux où étincelaient ce que produisaient de plus beau la Chine, l’Inde et la Perse. Il réalisa que l’Orient est riche et savant.
Cœur rêve de devenir un agent de l’échange et non de la conquête, pour apprendre et non prendre :
« Notre vocation était d’apporter le meilleur de ce que produisait l’autre. Nous avions, nous aussi, à notre manière, l’ambition de nous approprier la civilisation des autres, mais en contrepartie de ce qu’ils pouvaient désirer de la nôtre. La destruction, le pillage, l’asservissement nous étaient étrangers. »
Quatre hommes vont être à divers titres les maîtres d‘œuvres de ces échanges : ses deux associés Guillaume et Jean, son valet Marc et le Roi Charles VII.
C’est alors que le Roi confie dans un premier temps la ferme des monnaies de Paris à Jacques en qui il a toute confiance. Puis c’est à Tours qu’il va briller aux yeux du Roi en prenant en main l’Argenterie du royaume.
Jacques va se plaire en Touraine beaucoup plus qu’à Paris :
« La Touraine, avec ses ciels clairs et sa légendaire douceur, était propice aux longues déambulations, aux repas interminables, aux soirées de discussion les pieds tendus vers le feu de sarments que Marc allumait pour nous. »
Le traité d’Arras signé en 1435 par le Roi met fin à la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons et instaure en France une atmosphère de liberté et d’enthousiasme qui va faciliter le commerce. Et de plus ce traité établit la reconnaissance du titre de Roi de France à Charles VII.
À présent Jacques avait toute latitude de créer les réseaux, les relais, les routes pour acheminer tout ce qui pouvait trouver acheteur : soieries d’Italie, laines des Flandres, ambre de la Baltique, gemmes du Puy, fourrures des forêts froides, épices de l’Orient, porcelaines de Cathay.
Sa fréquentation constante du souverain lui permet d’en livrer une analyse fine et précise : au lieu de régner par la force et l’autorité, Charles VII, personnage paradoxal et tourmenté, étrange et tortueux, égrotant et cauteleux, secret et impénétrable, fascinant souverain, use de sa faiblesse et son indécision comme d’une arme redoutable grâce à un machiavélisme quotidien en dissimulant son jeu. Peu à peu l’indécision initiale va faire place à une grande détermination, une assurance et autorité incontestables tout en conservant son air de faiblesse et d’angoisse. Mais Jacques va déceler chez son souverain des traits et des instincts mauvais qui le font redoubler de prudence. L’avenir lui prouvera qu’il avait raison de rester méfiant.
Les années passent et Jacques avoue :
« J’ai été l’homme le plus riche d’Occident. On a peine aujourd’hui à dénombrer les châteaux et les domaines qui sont encore ma propriété…Je n’ai même pas pu tous les visiter … »
La Maison Cœur devient fournisseur de la Cour. De commerçant et argentier, Jacques devient aussi banquier en accordant des crédits, le Roi offrant sa garantie et lui octroyant de plus le droit de lever les impôts sur le sel. Puis il se lance dans la construction de ses propres navires et le Roi l’anoblit.
C’est la ville de Florence, villes d’artistes, qui va l’éblouir pour toujours par son génie et sa nouveauté. Lui qui a toujours vécu une vie simple et frugale, venant d’un pays aux goûts grossiers, va découvrir le luxe, la beauté et la finesse dans la création.
La rencontre d’Agnès Sorel, un temps la favorite de Charles VII, va être un moment décisif et bouleversant dans la vie de Jacques. Agnès était dotée d’une grande finesse et savait marquer ses faveurs en public à ceux qu’elle voulait perdre aux yeux du roi, d’où sa froideur relative à l’égard de Jacques qu’en secret elle aime.
À présent membre aulique, Cœur partage sa vie entre la cour et ses affaires. Cette conversion à la vie de cour est un passage difficile pour Cœur que l’entourage de multiples prévaricateurs peu avares de blandices à l’égard du roi rebute.
Jacques découvre qu’il est plus riche que le roi, plus riche que l’État et à partir de ce constat il craint la jalousie du roi. Des délateurs insoupçonnés vont porter des accusations mensongères contre lui qui vont aboutir à son arrestation avec interrogatoires et supplices. L’idée du suicide l’effleure. Prisonnier au château de Poitiers il désespère de recouvrer un jour la liberté.
Retour à Chios où il termine, installé dans une pauvre cassine de pierres sèches entourées de ronces, le récit de sa vie auprès d’Elvira sa compagne. Entre Poitiers et Chios va s’écouler une vie d’errance et d’aventures, de Gênes à Florence et puis Rome et le Vatican auprès du pape Nicolas V où il vit des jours heureux, puis Calixte III auquel il offre sa présence intéressée pour une croisade en Orient, cet Orient dont il rêve toujours.
Un roman bouleversant, une vie hors du commun narrée avec talent par J.C. Rufin, une épopée passionnante.
Et ne pas oublier de lire la postface qui est très instructive.



5/5