Description du livre Changer le monde : Tout un programme ! (2022):
L’énergie procède de la transformation de la matière. L’économie n’étant rien d’autre qu’une machine à transformer des ressources, nos sociétés industrielles sont de plus en plus gourmandes en énergie, alors même que les stocks susceptibles de leur en fournir, que ce soit du charbon, du pétrole ou de l’uranium, diminuent inexorablement.
Partant de ce constat, Jean-Marc Jancovici montre que les espoirs placés par nos gouvernants dans la reprise de la croissance sont illusoires et dangereux : dans une économie monde qui dépend des énergies fossiles, plus vite la croissance repartira, plus vite arrivera le prochain choc pétrolier qui la tuera à nouveau.
Il faut sortir de cette spirale infernale. L’éolien, le solaire seraient-ils une solution ? Billevesées, démontre J.-M. Jancovici : leur coût est astronomique et leur contribution actuelle, insignifiante. Le nucléaire, alors ? C’est souvent une excellente formule de transition, qu’il faut perfectionner et développer.
Mais surtout, il faut un nouveau projet de société, tout entier tourné vers une économie « décarbonée ». Un tel projet touchera à tout : nos métiers, notre habitat, notre système de soins, notre agriculture, notre alimentation, notre mobilité, notre lieu de vacances, notre armée et notre diplomatie, la consolidation de l’Europe, les procédés industriels, la productivité du travail et la gestion des retraites…
Pour éviter l’impasse, chacun de ces compartiments de la société doit être libéré au plus vite de sa dépendance au carbone, et J.-M. Jancovici propose des pistes concrètes pour y parvenir.
Tout un programme, certes, mais prendre la contrainte carbone à bras le corps n’est pas une option, écrit-il. Si nous ne faisons pas le premier pas, c’est elle qui choisira la forme de l’étreinte !
Jean-Marc Jancovici, diplômé de Polytechnique et de Télécom, est consultant, enseignant et conférencier. La spécificité du livre de Jean-Marc Jancovici, c'est que l'analyse y est présentée par un physicien et qu'elle repose sur les concepts de la discipline scientifique qu'est la physique. Pour ce faire, l'auteur élude largement l'économie ou la démographie pour centrer son analyse sur son domaine d'expertise (changement climatique et émissions de gaz à effet de serre, intensité énergétique des organisations, pétrole et combustibles fossiles).
La première partie développe le sort contrasté que notre société fait entre le travail, qui est le produit de la force par le déplacement, et l'énergie, grandeur physique équivalente au travail. L'auteur démontre que les gains spectaculaires de productivité que nous avons connus en passant du travail de l'homme, du cheval, du vent et de l'eau (moulins), à celui de la machine à vapeur (énergie du charbon), du moteur à explosion (énergie du pétrole) et du moteur électrique, traduisent pour l'essentiel le remplacement du travail mécanique par l'énergie tirée des combustibles fossiles. Il suffit, pour saisir les ordres de grandeur, de comparer la quantité d'essence nécessaire pour faire avancer une voiture sur 1km à la fatigue du conducteur s'il doit la pousser à la main sur la même distance... Le miracle économique repose sur un tour de passe-passe, les combustibles fossiles étant considérés comme un bien donné, gratuit et inépuisable, qu'il suffit de tirer du sol : c'est là que réside, en dernière analyse, ce qui a rendu possible le miracle économique de la croissance, chère aux économistes.
Or, les combustibles fossiles étant en quantité finie, tout usager des mathématiques sait que le taux d'extraction, après une période de croissance, atteint nécessairement un maximum avant de décroître jusqu'à zéro : faire reposer le fonctionnement de notre société sur la croissance conduit irrémédiablement droit dans le mur, à une vitesse d'autant plus grande que la croissance cherchée sera plus rapide. Le mécanisme du crash est clair pour le futur proche : montée rapide du prix du pétrole liée à l'excès de la demande sur l'offre, crise économique et récession. Seule solution pour limiter la casse : freiner la demande en taxant fortement, de façon à imposer une décarbonisation de l'énergie au profit d'autres sources d'énergie. Mieux vaut anticiper l'accident qu'attendre qu'il se produise, mieux vaut encaisser la taxe chez nous plutôt qu'enrichir les pays producteurs.
À cette situation, bien connue, se superpose un effet désormais familier aux physiciens, mais encore très mal compris du grand public et des responsables politiques : l'effet de serre. Certes, tout le monde sait, plus ou moins confusément, que la combustion d'un atome de carbone, qu'il provienne du pétrole, du charbon ou du gaz, produit une molécule de CO2 qui part dans l'atmosphère. Mais l'ampleur des changements climatiques qui vont résulter d'un accroissement effréné de la teneur de l'atmosphère en CO2, CH4 et N2O*, se heurte à une incompréhension profonde, qui traduit la profonde inculture scientifique d'une grande part de la population et de ses représentants politiques, y compris de ceux qui se revendiquent de l'écologie tout en ignorant les lois de la physique. Jean-Marc Jancovici rappelle (certains semblent l'oublier) que la production d'une éolienne tombe à zéro quand le vent s'arrête, que celle d'un panneau solaire fait de même la nuit, et que la physique n'offre pas de moyen de stocker l'électricité à grande échelle, hormis avec l'hydroélectrique dans les barrages en accumulant de l'eau. Adosser la capacité de production de l'éolien et du photovoltaïque à autant de centrales thermiques capables prendre le relais ne peut se défendre que si ces centrales enfouissent le gaz carbonique qu'elles produisent, technologie gourmande en énergie, mais qu'il convient de développer, compte tenu notamment de la pression à venir pour utiliser encore plus massivement le charbon.
L'importance du problème de l'incontournable décarbonisation de l'économie, qu'elle plaise ou non, est au cœur du métier de l'auteur, spécialiste et promoteur du "bilan carbone". Jean-Marc Jancovici en détaille les principes, soulignant la puissance de l'outil, par opposition à la simple considération du CO2 émis par pays. L'exemple des panneaux solaire le montre. En effet, la construction d'un panneau solaire implique, pour fondre le silicium, une quantité d'électricité égale à 3 ans de l'électricité qu'il produira ensuite. Le comble de la stupidité, pour un Français écologiste, est alors d'acheter ce panneau en Chine, où l'électricité est à 80% produite à partir du charbon, et de revendre ensuite à EDF l'électricité qu'il produira, dans l'idée de remplacer une production nucléaire qui, elle, ne pollue pas en CO2. Le "bilan carbone" montre que la stupidité est commise en France, bien que l'émission supplémentaire de CO2 ait lieu en Chine. Le livre dresse la liste des pays signataires de Kyoto qui n'ont pas tenu leurs engagements. On y trouve notamment deux pays qui font pourtant l'admiration de certains écologistes : le Danemark et l'Espagne. L'Allemagne ne fait pas l'objet, dans le livre, de reproches soulignés, malgré son recours important au charbon : c'est un fait que l'éolien et le photovoltaïque y diminuent, quand il y a du vent et du soleil, la consommation de charbon qui aurait été faite autrement.
On ne sera pas surpris de trouver, sous la plume de Jean-Marc Jancovici, une défense élogieuse de la filière électronucléaire française : il est un fait qu'elle marche bien et situe la France en bonne place pour ce qui est de la pollution au CO2. Par rapport aux dégâts et aux morts du tsunami, si l'on veut bien s'en tenir aux faits, Fukushima a fait peu de dégâts et aucun mort. L'attitude qui consiste à accepter comme normaux les risques de mort que prend un Japonais en s'installant en bord de mer, tout en rejetant l'usage de centrales nucléaires incapables d'assurer qu'elles feront zéro mort à l'avenir, est irrationnelle. A-t-on interdit l'industrie chimique après Bhopal? Veut-on interdire la voiture à cause des morts, le train après les accidents, le pétrole après les marées noires? L'auteur préconise un gros effort d'investissement pour mettre au point plus rapidement un réacteur nucléaire de 4ème génération.
Après un récit de l'aventure du "Pacte écologique", vécu de l'intérieur, et des avatars du "Grenelle de l'environnement", le livre se termine par des propositions chiffrées pour diminuer la consommation énergétique (gros investissements souhaités pour améliorer, à grande échelle, l'isolation thermique de l'habitat) et pour sortir, dans les années qui viennent, notre pays de l'énergie carbonée. Vaste chantier auquel nous ne couperons pas, que cela plaise ou non : "tout un programme!", en effet.
NB * Ce N2O est principalement émis par les cultures soumises à un usage intensif des engrais azotés. L'auteur souligne la nécessité de mettre fin à ces pratiques. Il estime nécessaire, par ailleurs, de diminuer très fortement la consommation de viande de bœuf, la filière bovine représentant la moitié de l'effet de serre du poste alimentation (CO2 de la production de nourriture et des transports, N2O de l'usage des engrais azotés, CH4 émis par les ruminants).
5/5